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Les noyades, notamment des moins de 6 ans, sont en hausse. A quand un vrai plan d’apprentissage de la natation ?

Cette semaine, en plein coeur de la trêve estivale, un nuage de chiffres alarmistes est venu obscurcir le ciel bleu azur des vacanciers. Rappelant que les décors de carte postale, peuplés de rafraîchissantes piscines et de criques paradisiaques, peuvent aussi parfois devenir le théâtre de véritables drames. D’après le dernier volet de l’enquête « Noyades 2018 », menée par Santé Publique France, 1 139 noyades, suivies de 251 décès, ont été recensées en métropole et dans les DOM-TOM, entre le 1er juin et le 26 juillet. Un bilan plus inquiétant encore que celui dressé en 2015 (l’enquête n’est réalisée que tous les trois ans). Le nombre de noyades chez les enfants de moins de 6 ans est, notamment, plus important (143 contre 110 à l’époque), même si le nombre de décès reste relativement stable (12 contre 14).

« Le premier facteur de ce triste constat est l’épisode caniculaire que nous venons de connaître. C’est mathématique, plus il fait chaud, plus les gens se baignent et plus les risques augmentent », explique l’épidémiologiste Aymeric Ung qui a piloté cette enquête. Autre explication : la croissance du parc de piscines privées. D’après la Fédération des professionnels de la piscine (FPP), la France compte aujourd’hui 2,5 millions de bassins de particuliers. « Or, les accidents de piscine concernent particulièrement les enfants. Pour les plus de 65 ans, c’est surtout la mer qui est source de danger. Alors que, pour les personnes d’âge intermédiaire, les sites critiques sont plutôt les rivières, les fleuves ou les plans d’eau », poursuit Aymeric Ung.

Près d’un Français sur six ne sait pas nager

Mais le spécialiste de rappeler que la vigilance reste de mise partout, quel que soit l’âge. Le 8 juillet dernier, le terrible drame de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a frappé les esprits : trois enfants de 9, 10 et 13 ans ont péri noyés dans le lac des Prés-Saint-Jean, à côté du domicile paternel. Une enquête est en cours mais il semblerait que les deux plus jeunes aient glissé avant que leur frère aîné ne saute pour les secourir. Aucun des trois ne savait nager… Comme près d’un Français sur six.

Comment est-ce possible alors que l’enseignement de la natation à l’école est aujourd’hui officiellement obligatoire ? « Apprendre à nager à tous les élèves est une priorité nationale inscrite dans les programmes d’éducation physique et sportive », précisent les textes de l’Education nationale. Depuis 2015, une attestation scolaire « savoir nager » est même censée être délivrée aux élèves pour permettre l’accès aux activités aquatiques dans le cadre des accueils collectifs de mineurs. « Dans les faits, c’est loin d’être le cas », soupire Christian Couturier, secrétaire national du Syndicat national de l’Education physique (Snep-FSU). Ceux qui en pâtissent le plus sont évidemment les enfants issus de zones rurales ou de milieux défavorisés qui n’ont pas forcément la chance de pouvoir apprendre à nager au sein de leur famille ou via des cours privés.

Mais tout n’est bien sûr pas la faute de l’Education nationale qui se heurte à un manque criant de moyens. « Le problème numéro un étant le manque d’équipements. Il faut parfois faire des kilomètres en bus pour accéder à une piscine, de cela découlent ou s’ajoutent la question de l’accompagnement, le casse-tête des créneaux horaires, le nombre d’enfants par cours, le temps de pratique très faible… », énumère Christian Couturier.

Il manquerait 5 000 maîtres-nageurs sauveteurs

Et chaque été, le constat est le même. Chaque été, les mêmes accidents se reproduisent. Chaque été, les mêmes critiques sont faites. « Voilà des années que nous exigeons un plan d’urgence d’apprentissage de la natation. En vain ! », tempête Axel Lamotte, secrétaire général adjoint du Syndicat national professionnel des maîtres-nageurs sauveteurs (SNPMNS). D’après lui, il faudrait mettre l’accent sur la formation et l’augmentation du nombre de maîtres-nageurs. Il manquerait aujourd’hui 5 000 professionnels en France. Et le syndicaliste d’avancer quelques pistes comme celle de « former les étudiants en Staps et de leur proposer un job d’été afin de remédier à la pénurie ». « Ce dispositif existait dans les années 1960 et fonctionnait très bien », assure Axel Lamotte qui insiste également beaucoup sur l’importance de mettre en place des mesures de prévention en amont, dès le mois de mai, dans les piscines publiques.

En Seine-Saint-Denis, où un enfant sur deux qui entre au collège ne sait pas nager, l’opération « Je nage donc je suis », lancée par l’Etat et les municipalités en 2014, propose des stages gratuits aux élèves qui éprouvent le plus de difficultés à se mouvoir dans l’eau. Soit une heure quotidienne de cours, pendant quinze jours, sur le temps des vacances. « Des solutions comme celles-ci existent et ne demandent qu’à être étendues. Aux politiques de prendre enfin le problème à bras le corps, sans se contenter de faire quelques déclarations au coeur de l’été », poursuit Axel Lamotte.